C’est une phrase qui, malgré le jargon juridique un peu ampoulé, a de quoi intriguer. Elle est nichée dans un compte rendu de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), chargée d’évaluer les dépenses des candidats à l’élection présidentielle. Dans ce document datant du 29 septembre 2017, auquel Le Figaro a eu accès, la CNCCFP révèle la somme des «remises» dont Emmanuel Macron a bénéficié auprès de ses prestataires pendant la campagne. Et s’interroge sur leur pourcentage «anormalement élevé» par rapport au prix des fournisseurs.
L’un d’entre eux, GL Events, a fait l’objet d’une enquête de Mediapart publiée le 27 avril. À l’occasion du premier meeting d’Emmanuel Macron en tant que leader d’En Marche!, à la Maison de la Mutualité à Paris en juillet 2016, GL Events a déduit 14.129 euros de sa facture pour la location de la salle. Idem quelques mois plus tard, après la déclaration officielle de candidature d’Emmanuel Macron: une réduction de près de 10.000 euros pour le grand raout de la Porte de Versailles. Depuis, GL Events et l’Elysée ont apporté leur lot d’explications pour justifier ce rabais spécifique, démentant un traitement de faveur liée à une proximité entre Emmanuel Macron et le patron de la société.
Les pièces récoltées par la CNCCFP montrent qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. Matériel de campagne, organisation de meetings, locations de salle… De nombreuses entreprises ont consenti à des réductions tarifaires auprès des macronistes, certaines atteignant même 100% du prix. Au total, selon les calculs du Figaro, l’association de financement d’Emmanuel Macron a bénéficié de 216.348 euros de ristournes sur une vingtaine de factures (voir tableau ci-dessous), soit 39,5% du total des dépenses concernées.
Parmi les prestataires les plus «généreux», il y a par exemple Mvision, spécialisée dans les aspects techniques nécessaires aux grands événements (son, vidéo, lumière). Pour le rassemblement organisé par Emmanuel Macron à Bercy le 17 avril 2017, Mvision a réalisé sa prestation à un prix amputé de 30% sur la «partie matérielle», faisant ainsi passer la facture de plus de 66.000 à 45.020 euros. Un geste «habituel» dans ce secteur selon Mvision, mais qui peut s’avérer déterminant à moins d’une semaine du premier tour d’une élection présidentielle.
L’entreprise Eurydice en a fait de même. Chargée d’organiser un meeting à Arras pendant l’entre-deux-tours, la société a accordé 12.583 euros de réduction à l’équipe du candidat Macron. Présentée sur son site internet comme un «acteur majeur de la prestation audiovisuelle en France», Eurydice a mis ses services à disposition de l’ex-ministre de François Hollande à plusieurs reprises durant sa campagne. L’Obs a par ailleurs relevé une étrange coïncidence concernant l’ancien dirigeant d’Eurydice, Arnaud Jolens, qui a notamment mis en scène la déambulation d’Emmanuel Macron dans la cour du Louvre le soir de sa victoire. Démissionnaire d’Eurydice en janvier 2017, avant donc le meeting d’Arras, il a pris la tête du «pôle image et événements» de l’Elysée le mois de juillet qui a suivi.
«Bonjour, c’est Emmanuel Macron…»
La ristourne la plus importante en valeur obtenue par l’équipe Macron provient de l’entreprise Selfcontact, spécialisée dans le démarchage téléphonique, notamment pour les hypermarchés. À la veille du premier tour, la société a réalisé 6,6 millions d’appels, diffusant un message préenregistré débutant ainsi: «Bonjour, c’est Emmanuel Macron…». Dans un échange de mail avec l’équipe d’En Marche!, publié dans les «MacronLeaks», le PDG de l’entreprise, Laurent Delwalle, assure mettre toute la «puissance» de son entreprise au service du candidat: «J’ai parfaitement intégré que le premier tour étant serré et le nombre d’électeurs indécis ou abstentionnistes relativement important, donner une chance à Emmanuel de parler au creux de l’oreille des électeurs pouvait être déterminant pour assurer d’être au deuxième tour», écrit-il.
Pour cette commande importante de dernière minute, l’équipe du candidat a obtenu un rabais conséquent permettant de faire passer la facture de 264.000 euros à 200.000 hors taxes. Une opération qui a fait tiquer la CNCCFP, qui a réclamé des explications. Dans un courrier datant du 17 octobre, Laurent Delwalle justifie ainsi la ristourne: «Pour chaque commande d’un pack de 5.000.000 d’appels téléphoniques incluant la diffusion d’un message vocal, nos clients se voient attribuer (…) 1.600.000 unités gratuites, soit une remise de 24,24%», soit 64.000 euros HT. Soucieux de démontrer qu’il n’y a pas de lien de fidélité entre sa société et le candidat, il précise que la facture de l’opération «représente une consommation ponctuelle» et «n’est pas liée à un contrat annuel ni à aucune tacite reconduction».
Légal ou pas?
À l’aune de tous ces cas de figure, la question de leur légalité se pose. Selon l’article L 52-8 du Code électoral, «les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat (…) en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués». Autrement dit, appliquer des tarifs différenciés selon les clients, ce que tous les fournisseurs démentent avoir fait.
L’article L.52-17 précise ensuite que «lorsque le montant d’une dépense déclarée dans le compte de campagne (…) est inférieur aux prix habituellement pratiqués», la CNCCFP invite le candidat «à produire toute justification utile à l’appréciation des circonstances». Une fois ces justifications produites, la commission a envoyé un courrier, datant du 24 novembre 2017, dans lequel la section consacrée aux «dépenses sous-évaluées» n’apparaît plus. Vraisemblablement convaincue par les explications avancées par l’équipe Macron et ses prestataires, la commission n’a pas réformé les dépenses associées à ces ristournes ni exigé aucun remboursement au candidat élu.
Benjamin Griveaux, porte-parole d’En Marche! durant la campagne présidentielle, s’en félicite. Interrogé ce jeudi matin sur France Inter, il évoque le fait que l’équipe d’Emmanuel Macron «a embauché des gens (…) qui sont des pros de l’événementiel (…) et qui ont bien négocié». Un propos qui fait écho à l’«approche agressive des négociations commerciales» avancée par l’entourage du président de la République, interrogé par Mediapart, mais qui ne convainc pas les anciens concurrents. Contactée par Le Figaro, l’équipe de Benoît Hamon, qui assure n’avoir pas bénéficié des mêmes ristournes qu’Emmanuel Macron sur la location de la Mutualité, déclare avoir effectué des «mises en concurrence entre prestataires pour obtenir des meilleurs tarifs, via des appels d’offres». «C’est la manière normale de procéder. On n’a pas le droit de négocier de gré à gré, comme l’a apparemment fait l’équipe Macron».
Source: http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2018/05/03/25001-20180503ARTFIG00200-comptes-de-campagne-macron-le-roi-de-la-ristourne.php