Dans un système judiciaire de plus en plus orienté vers l’efficacité, le risque est de laisser de côté ceux qui ont le plus souffert : les victimes d’infractions. L’avocat Alfredo Guarino, pénaliste et fin connaisseur de la procédure pénale, a analysé avec nous le rôle de la victime dans le procès pénal italien, en mettant en lumière les faiblesses du cadre législatif actuel par rapport à la réglementation européenne.

par Roberta Imbimbo

Maître Guarino, en ce qui concerne l’opposition à une demande de classement sans suite, pensez-vous que le droit italien protège efficacement la victime d’un crime ?

Écoutez, si vous me demandez si la législation italienne protège réellement et efficacement la victime lorsqu’une demande de classement est présentée, je vous réponds : pas suffisamment. L’article 410 du Code de procédure pénale prévoit certes la possibilité pour la partie lésée de s’opposer à la demande de classement formulée par le procureur, mais de manière extrêmement restrictive. En effet, la victime ne peut s’opposer qu’en indiquant de nouvelles investigations à mener ou des éléments de preuve supplémentaires. Ce qu’elle ne peut pas faire — et c’est le point crucial — c’est contester le bien-fondé de l’évaluation déjà effectuée par le procureur sur la base des éléments existants. Cela signifie que sa voix, à ce stade délicat, a très peu d’espace pour se faire entendre. Et c’est une limite sérieuse. Cela crée un écart injustifiable entre la justice comme affirmation de principe et la justice comme réelle possibilité de participation active au procès.

Et pourtant, le droit européen semble prévoir davantage…

Exactement. La directive 2012/29/UE de l’Union européenne établit à l’article 11 que toute victime a le droit de demander un réexamen de la décision de ne pas poursuivre. Il s’agit d’une disposition claire et large, qui ne limite pas la nature du réexamen. En Italie, au contraire, cette possibilité n’est pas pleinement garantie : la décision finale revient au juge de l’enquête préliminaire (GIP), qui peut accepter la demande de classement, et contre cette décision, aucun véritable recours n’est permis pour la victime, sauf en cas de vices de forme. En pratique, la personne lésée reste exclue d’un contrôle effectif sur le choix du juge de ne pas poursuivre l’enquête. C’est un paradoxe : on parle de centralité de la victime, mais on lui nie ensuite un rôle concret dans cette phase. La justice pénale ne peut faire l’économie d’un respect complet des droits de la victime. Sinon, ce n’est pas une justice aboutie.

Un autre point critique que vous soulignez souvent concerne la difficulté, pour la victime, d’obtenir une évaluation concrète du préjudice dans le cadre du procès pénal. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

C’est l’une des grandes lacunes de notre justice pénale. Le préjudice subi par la victime, même en cas de condamnation, est rarement évalué de manière complète au cours du procès pénal. Souvent, on se limite à l’octroi d’une provision — une somme partielle et anticipée —, tandis que l’indemnisation effective est renvoyée au juge civil. Cela signifie que même avec une condamnation pénale, la victime doit encore attendre plusieurs années, affronter d’autres procès, avec les coûts qui en découlent, pour obtenir ce qui lui revient. C’est un parcours éprouvant, et souvent la victime n’a ni la force, ni le temps, ni les moyens de l’affronter.

Quelles sont les causes de cette inefficacité ?

Elles sont principalement au nombre de deux. La première est culturelle : de nombreux avocats et magistrats ne sont pas habitués à traiter la question de l’indemnisation dans le cadre du procès pénal. Les demandes de dommages sont souvent vagues, et les juges pénaux évitent de se prononcer sur la quantification du préjudice, considérée comme une affaire “civile”. La seconde est organisationnelle : le manque de formation spécifique et la surcharge de travail poussent les juges à renvoyer cette question au juge civil. Mais c’est un sacrifice inacceptable pour les victimes. À cela s’ajoute le peu de valorisation de l’article 163 du Code pénal, qui permet de subordonner le sursis à l’exécution de la peine à la restitution des biens ou à la réparation du dommage. Cet instrument, qui pourrait être très efficace pour des délits comme l’escroquerie, le vol ou l’abus de confiance, est trop peu utilisé. Dans d’autres pays, comme l’Espagne, le juge subordonne la suspension de la peine à une réparation concrète du dommage dans un délai précis : un modèle à prendre très au sérieux.

Maître Guarino, concernant l’indemnisation par l’État des victimes de crimes violents, pensez-vous que le système italien est équitable et efficace ?

Malheureusement, non. Les chiffres sont clairs et surprenants : en 2022, 314 homicides ont été enregistrés, mais seulement 28 sont liés au crime organisé — moins de 10 %. En 2021, c’était 26 sur un total similaire. Toujours en 2022, parmi ces 314 homicides, 120 étaient des féminicides — des femmes tuées, souvent dans un cadre familial ou affectif. Et pourtant, si l’on regarde la répartition des fonds publics, on découvre un déséquilibre flagrant. Le Fonds de solidarité, doté de 34 millions d’euros, a alloué environ 29,5 millions — près de 90 % — aux crimes liés à la criminalité organisée. De même, le Fonds spécial d’indemnisation des victimes de crimes violents, en 2023, sur 4,6 millions disponibles, a destiné plus de la moitié, une fois encore, aux victimes de délits mafieux. L’inégalité est évidente.

Une autre faille juridique majeure qui affecte la sécurité et la dignité des victimes concerne la cessation automatique des mesures de précaution une fois la condamnation pénale définitive.

Exactement ! Les mesures de précaution — comme l’interdiction d’approcher les lieux fréquentés par la victime, l’éloignement du domicile ou l’interdiction de séjour — jouent un rôle fondamental pendant l’enquête et le procès : protéger la personne lésée. Pourtant, ces mesures cessent précisément au moment où, paradoxalement, la victime pourrait en avoir le plus besoin, c’est-à-dire après la condamnation définitive du coupable. C’est une faille évidente dans les cas de maltraitance, de harcèlement, de violence domestique ou de tentatives d’homicide : des délits dans lesquels la relation entre l’auteur et la victime est centrale et le risque de récidive malheureusement fréquent.

Quelle serait, selon vous, la solution ?

Il faut introduire dans le Code pénal des peines accessoires ou des mesures de sûreté personnelles même après la condamnation, pour une période appropriée. Je pense à des interdictions d’approche prolongées, des obligations de résidence, des interdictions personnalisées. Dans d’autres pays, ces mesures restent en vigueur cinq à dix ans, afin de garantir que la victime ne soit pas à nouveau exposée à un environnement dangereux. En conclusion, pour garantir une justice véritablement équitable, la protection des victimes doit devenir une priorité structurelle et non un simple acte ponctuel du système.

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